La Rédaction du Magazine de l’UPPF-B
vous souhaite une année nouvelle qui vous apporte
satisfactions, bonheur, succès et bonne santé
« Une bonne année (*) répare le dommage des
deux mauvaises » (dixit Voltaire en l’an1764)
* Cette bonne année, ce sera 2022
bon sang mais c’est bien sûr !
* * *
A l’aube de 2022 on a la mémoire encombrée des mauvais souvenirs, ceux de la crise sanitaire résultant de la pire des pandémies survenue dans le monde depuis la grippe espagnole de 1918/1919 …qui sont hélas de bien mauvais et durables souvenirs. Sans parler des autres conséquences négatives des crises climatique, économique et financière auxquelles s’ajoutent les symptômes d’autres processus destructeurs, négatifs et mortifères.
Les auspices incertains, les bilans décevants, voire désespérants sont nombreux : ainsi en va-t-il de l’actualité mondiale, marquée par un cortège d’attentats, de violences et de guerres, désormais plus prégnants à l’Est qu’à Ouest : le Proche et le moyen Orient (Turquie, Liban, Syrie, Arabie Saoudite, Afghanistan, Iran, Irak), le monde musulman (du Sahel au Soudan, en passant par le Sahara Occidental, la Tunisie et la Lybie), les irrédentismes et la « chienlit » d’Asie centrale et orientale (Kazakhstan, Chine, Xinjiang, Hong Kong, Taïwan), les bruits de bottes en mer de Chine, etc.
L’Afrique centrale a pris le relais après une période d’accalmie : Mali, Burkina Faso, Centrafrique, Congo, Niger, Nigéria, Somalie).
A un autre niveau, celui de la francophonie planétaire, institutionnelle, franco-hexagonale, belgo-flamando-wallonne…, les épines ne manquent pas non plus. Nombre de pays d’Afrique se rebellent sinon contre la France, du moins contre la « Françafrique », certains comme le Rwanda, le Cameroun, le Maroc commencent à privilégier l’anglais là où, auparavant, la langue de Molière était tantôt d’usage courant, tantôt perçue comme vecteur essentiel de la communication internationale.
En France même, les remous sont nombreux dans les secteurs de la santé, de la culture, de l’enseignement, du social, du climat électoral et politique en général. Le chômage et la mondialisation ne contribuent pas davantage à la promotion de la langue française qui est prise au sérieux surtout par une certaine intellingentsia africaine…qui commence d’ailleurs à rafler les prix littéraires de la francophonie.
Mais, le plus grand danger qui menace la France est l’émergence des extrêmes : l’extrême droite qui progresse dans le Midi et Nord-est et donne ainsi un mauvais exemple aux « peuples frères » de Belgique et de Suisse.
Le petit et sage Luxembourg, dont les habitants proclament dans leur devise nationale « Nous voulons rester ce que nous sommes », seul semble échapper à cette « mode » du catastrophisme.
En Belgique l’ogre du nationalisme flamand poursuit sur sa lancée boulimique, s’introduisant pernicieusement dans les services publics ou semi-publics : les transports en commun bruxellois (STIB), la Poste (bPost), l’aéroport qui n’est plus « national » mais dédié à une commune populiste, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, les musées royaux d’art et d’histoire, et jusqu’au musée des Beaux-Arts de Bruxelles ; appréhensions aussi pour la Bibliothèque nationale de Belgique Albert 1er (la BNB, en abrégé, qui ne connaît d’adresse courriel, y compris pour les francophones, qu’en version flamande : « NBB »). Idem au musée de l’armée. Ne parlons pas des crèches en périphérie bruxelloise où, malgré la présence majoritaire d’enfants francophones…on interdit aux puéricultrices de parler français.
Cette morosité ambiante nous fait tristement penser au génie de Jacques Brel sublimant le diable dans sa chanson éponyme : « Il y a toujours un peu partout des feux illuminant la Terre, ça va/ Les hommes s’amusent comme des fous aux dangereux jeux de la guerre, ça va/ Les trains déraillent avec fracas(…) rien ne se vend mais tout s’achète, l’honneur et même la sainteté (…) les Etats se muent en cachette en anonymes sociétés (…) ça fait rire les malhonnêtes gens, ça va, ça va… » .
Et pourtant, dès le sixième siècle avant notre ère, Héraclite, le philosophe de la Grèce antique proclame « l’espoir survient toujours pour celui qui n’a jamais sombré dans la désespérance ». Plus proche de nous, le dramaturge Edmond Rostand fait dire à Cyrano de Bergerac au seuil de la mort: « C’est bien plus beau quand c’est inutile ».
Hommage enfin à la langue française qui mieux que d’autres parvient à exorciser les influences néfastes et les violences absurdes.
La rédaction
C’est sous ce titre qu’au lendemain de la grande crise des subprimes de 2008 le monde fut ébranlé. Plus tard survint la double crise climatique et sanitaire, précédant de peu la mise en garde d’un grand penseur français, le politiste, analyste et scientifique Marc Halévy, foncièrement pessimiste mais évitant cependant de tomber dans la collapsologie, avertissement qui revêt aujourd’hui une brûlante actualité. Nous la reproduisons ici dans ses grandes lignes en guise d’édification politique et « philosophique » de nos lecteurs. L’intitulé est prémonitoire : « La crise ? Non la fin ! ». (A.B.)
Il est deux façons de faire de l’argent. La première passe par le « complexe travail-énergie-matière » et produit de la valeur d’usage et, donc, par voie de conséquence, de la valeur d’échange. Les progrès de la technologie et de la méthodologie ont permis à cette filière de gagner continument des points de productivité depuis cinquante ans, ce qui a permis de répondre à la croissance consommatoire. On parle, là, d’argent réel, de valeur réelle et d’économie réelle.
Et puis, il y a la seconde façon qui s’appuie sur le « complexe spéculation-pari-levier » et qui crée de la valeur d’échange sans aucune valeur d’usage. Elle s’appuie sur l’économie réelle pour engendrer de l’argent virtuel par des mécanismes artificiels dont la titrisation est le parangon. On parle, ici, d’argent virtuel, de valeur virtuelle et d’économie virtuelle. Par effet de leviers successifs, cette économie virtuelle a généré une croissance virtuelle qui a démultiplié la croissance réelle, mais sans rien produire.
Résultat : l’économie virtuelle pèse aujourd’hui environ quatre fois plus que l’économie réelle dans le bilan économique officiel mondial (la somme des PIB des différents Etats). Avec une unité de valeur d’usage, on fait cinq unités de valeur d’échange.
Ce binôme réel-virtuel n’est pas neuf. Dans l’économie, il y a toujours eu une part spéculative qui veut exploiter les anticipations sur les variations de valeurs, de coûts, de rareté relative, etc… Ce qui est nouveau, c’est la disproportion monstrueuse du poids de l’économie spéculative face à l’économie réelle.
Les explosions successives des bulles spéculatives dot.com, japonaise, subprime et bientôt cartes de crédit ne font que traduire et trahir ce déséquilibre structurel immense. On pleurniche de devoir annoncer une croissance économique mondiale maigrichonne de peut-être seulement 1 à 2 %, alors qu’il faudrait annoncer clairement une décroissance globale des PIB de 70 % pour ramener la part de l’économie spéculative à un niveau supportable : quelques pourcents de l’économie réelle.
L’évolution économique réelle n’a fait qu’amplifier le gouffre qui sépare les entreprises productrices de valeur d’usage (matérielle ou, surtout, de plus en plus, immatérielle) et les banques et autres officines de l’argent virtuel. Les banquiers et les financiers ne comprennent plus rien à l’entreprise réelle (donc à l’économie réelle). Pour eux, une entreprise, c’est un lieu de spéculation et rien d’autre. C’est du papier (des actions) et des papiers (bilans et business plans). Quant au reste – l’essentiel -, ils n’y comprennent rien et n’en ont cure.
La finance, par les effets de levier virtuels évoqués plus haut, s’est prise pour la maîtresse de l’économie et a ouvert la porte tout grand à tous les délires, tous plus artificiels et stériles les uns que les autres. Les fusions et acquisitions ne sont plus des moyens de créer des synergies réelles, mais des moyens de survaloriser artificiellement, spéculativement et virtuellement du papier dont les valeurs d’usage sont absentes. Le cas des grandes banques privées et la mégalomanie de leurs dirigeants en sont de bons exemples. Et qui paie alors la casse ? Les contribuables.
Les banques tomberont donc. Les unes après les autres, prédit Marc Halévy. Et les Etats ne pourront plus venir à leur rescousse parce que ces Etats sont en faillite depuis longtemps et ont déjà vidé aujourd’hui les réserves de financement de demain (allocations de chômage et retraites). Alors ?
La logique financière a été au bout de sa bêtise. Nous ne vivons pas une crise financière, nous vivons la fin de la finance, la fin des golden boys de Wall Street, de la City de Londres, ou d’ailleurs, la fin de l’argent-roi, la fin du tout monétisé et du tout monétisable, la fin de la spéculation à grande échelle et de l’argent facile. Retour au réel ! Il n’y a pas d’argent facile. Il n’y a pas beaucoup d’argent sans beaucoup de sueur.
La seule valeur qui soit est la valeur d’usage dont la valeur d’échange doit être l’exact reflet sous peine d’un leurre pernicieux, d’un artifice creux, voire du vol pur et simple.
Comme il y a deux argents et deux économies, il y a deux capitalismes dont l’un doit être éradiqué sans pitié. Il y a le capitalisme entrepreneurial qui finance des entreprises réelles dans l’économie réelle et qui engendre de l’argent réel avec de la réelle valeur d’usage. Et il y a le capitalisme spéculatif et financier dont la Bourse est le temple et qui doit disparaître car il n’est pas seulement inutile : on sait à présent qu’il est délétère et mortel.
Que se passera-t-il alors ? L’économie officielle est condamnée à la décroissance rapide : le dégonflement de toutes les bulles spéculatives est inéluctable et même souhaitable – ce n’en est, aujourd’hui, que le tout début. Cela va faire mal. Les Etats ne pourront pas suivre. Une immense dépression est à nos portes avec son cortège de misères, d’émeutes, de guerres. En gros : lorsque la gangrène a gagné, il faut souffrir, amputer.
Heureusement, à l’échelle mondiale, l’économie officielle (la somme des PIB de tous les Etats) dont une large majorité est purement spéculative, ne représente qu’un sixième environ de l’économie réelle. Face à elle il y a l’économie pirate (travail au noir, fraudes fiscales et contrefaçons, dessous de table, etc…) qui pèsent 5.000 milliards de dollars (contre 2.500 milliards de dollars pour l’économie officielle). Il y a aussi l’économie mafieuse (trafic de tout ce qui est illégal et illicite) qui pèse autant que l’économie officielle. Il y a enfin l’économie démonétisée (tout le travail gratuit, les trocs et les bénévolats, les mères au foyer, les services que l’on rend et les échanges de bons procédés). Cette économie noire aussi, pèse globalement le double de l’économie officielle.
Avec la fin de la spéculation, c’est l’économie officielle, et elle seule, qui s’effondre. Mais elle ne pèse qu’un sixième de l’économie mondiale réelle.
La sortie de l’impasse et la survie économique de l’humanité passeront donc par les économies pirate et démonétisée. On le sait bien, en cas de crise majeure, comme ce fut le cas sous la botte nazie, le marché noir (qui est une part de l’économie pirate) se développe fort et prend le pas sur l’économie officielle de rationnement. De plus, comme l’économie mafieuse ne se développe que grâce aux interdits promulgués par les Etats et que ceux-ci s’étiolent, l’économie mafieuse s’étiolera avec eux. Donc, globalement, à l’échelle mondiale, la chute de l’économie officielle n’est qu’un demi mal. Par contre, dans nos pays où l’Etat, depuis toujours, combat les économies parallèles pour s’arroger le monopole des prélèvements via l’économie officielle, celle-ci pèse beaucoup plus qu’un sixième (probablement de l’ordre de la bonne moitié) et son effondrement induira un marasme indescriptible, le temps de réinventer une économie pirate et démonétisée qui prenne le relais.
Economies pirate et démonétisée, donc ! Là, foin de spéculation : c’est de la survie au quotidien qu’il s’agit. Retour à l’essentiel. Retour au réel.
La seule issue est la voie de la frugalité. En tout. L’humanité n’a guère de choix : ou bien elle devient vraiment frugale et assume le principe de réalité, ou bien elle s’enferme dans le principe de plaisir…et elle mourra.
Marc Halévy (avec André Buyse)
Modèle et inspirateur des défenseurs de la presse francophone belge dans les années 1980, comme le furent à l’époque au journal « Le Soir », Sylvio Debefve, Pierre Bary, Marcel Bauwens ou Yvon Toussaint, à « La Libre Belgique » Guy Daloze, Jacques Franck, Jean Kestergat ou Paul Masson, à « La Cité » Jean Heinen, au « Pourquoi Pas ? », Jacques Schepmans : le brillant rédacteur en chef du journal Le Soir et de ses multiples éditions quotidiennes, Charles Rebuffat, fut ce que l’on pouvait appeler, sinon « un aristocrate de l’information», ce dont il se défendait, du moins « un grand Monsieur » de l’information francophone. Professeur de journalisme il était très écouté par les jeunes pousses qui étudiaient à la Maison de la Presse à Bruxelles ou à l’ULB, mais également par tous les journalistes francophones en exercice, tant en Belgique qu’à l’étranger. C’est devant un auditoire de jeunes journalistes qu’il prononça, au milieu des années 1970 ce « discours pépite », dont nous avions noté l’essentiel dans notre cahier d’étudiant.
Le thème de son allocution avait été intitulé « l’anxiété du quotidien », une sorte de prédiction prophétique du « stress de l’info » que nous connaissons si bien aujourd’hui dans nos médias hyper-connectés…
« L’anxiété du quotidien »
L’anxiété du quotidien n’est pas celle que les entrepreneurs de presse et les journalistes peuvent ressentir devant les difficultés de survivre qui assaillent aujourd’hui nombre de publications.
C’est de l’anxiété du consommateur qu’il s’agit ici, de l’angoisse qu’il peut ou pourrait éprouver à la lecture de son quotidien. L’idée m’en est venue en relevant dans un récent sondage qu’un certain nombre de gens ne lisent jamais un journal parce que sa lecture leur serait psychologiquement insoutenable : « les journaux ne contiennent jamais de bonnes nouvelles et parlent toujours de catastrophes. Ils sont pleins de violences et de sang. Ils m’excitent sans m’apporter de satisfaction. Leur lecture me rend nerveux ».
Les journaux se vautreraient dans le scandale, le vice et le crime, ils feraient fortune de la mauvaise nouvelle, ils donneraient du monde une vision systématiquement pessimiste.
Ils entretiendraient dans l’esprit de leurs lecteurs une image morbide et fausse de la réalité, ils susciteraient chez eux les préjugés, l’inquiétude et l’agressivité, ils nuiraient finalement à la bonne entente entre les peuples et à la paix mondiale.
Comme tous les procès faits globalement à toutes les corporations, aux médecins, aux avocats, aux notaires et aux gendarmes, celui-ci est sommaire jusqu’à la caricature et donc assez injuste.
Le monde n’est pas une bergerie...
Il serait facile de montrer que ce ne sont pas les journaux qui ont créé chez l’individu l’attrait morbide du malheur et que, depuis la plus haute antiquité, la plus haute littérature est fondée sur le récit de forfaits dont certains quotidiens hésiteraient peut-être à publier les détails. On pourrait même soutenir que toutes ces critiques illustrent un phénomène très banal et que les politiciens ne sont pas les seuls à penser que les journalistes et leur imagination sont à l’origine de tous leurs malheurs.
Les journalistes auront beau jeu de répondre que le monde n’est pas une bergerie et que ce n’est vraiment pas de leur faute s’il ressemble plutôt à un nœud de vipères. Sans doute est-il injuste de faire du journaliste le bouc émissaire des misères de l’humanité, mais n’est-il pas néanmoins partiellement responsable d’une représentation déformée et angoissante de cette humanité et de ses problèmes ?
On est souvent tenté d’attribuer à la presse la naissance de ce besoin toujours renouvelé : savoir tout de suite ce qui se passe. En réalité, si Gutenberg n’avait pas existé la presse telle que nous la connaissons n’aurait sans doute jamais existé [aujourd’hui, c’est-à-dire en 1975 ! mais on pourrait en dire autant en 2022 si les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’avaient pas été inventées ! Ndlr].
La nouvelle brûlante, la « hot news » comme disent les Américains, est probablement la chose au monde qui refroidit le plus vite et il est inutile d’ajouter que la radio (et aujourd’hui, la TV, l’internet et les médias sociaux, Ndlr) avec la faculté qu’elle a de diffuser l’information à la seconde même, n’a fait qu’accentuer le phénomène de mortalité post-puérale.
L’impératif d’actualité peut d’ailleurs déformer d’une autre façon le miroir dans lequel la presse prétend refléter le monde, en ce sens que le sort réservé à une information peut varier considérablement en fonction de la concurrence que d’autres informations lui feront ou ne lui feront pas subir au même instant.
Il est ainsi des nouvelles objectivement importantes qui sont reléguées au second plan parce qu’elles ont l’infortune d’être reçues en même temps que d’autres qui sont plus spectaculaires. A l’inverse, il est des informations d’intérêt secondaire qui reçoivent les honneurs de la manchette parce que le secrétaire de rédaction n’avait rien d’autre, ce jour-là, à se mettre sous la dent.
Loch Ness et congés payés
On est en droit de penser, par exemple, que le monstre du Loch Ness n’aurait jamais acquis pareille notoriété journalistique, ni plongé peut-être dans l’angoisse une série de braves gens, si l’introduction des congés payés n’avait provoqué l’assoupissement de l’actualité mondiale pendant la saison d’été. (…)
Toutefois, aujourd’hui, le monde auquel est lié notre propre destin n’est plus limité par des horizons proches et rassurants, mais par ceux de la planète elle-même. Militairement, politiquement, économiquement, nous vivons dans un univers dont l’interdépendance est pour ainsi dire totale et où, de surcroît, les centres autonomes de décision se sont prodigieusement multipliés depuis un quart de siècle. Dans un pareil univers, l’introversion de la curiosité, pour naturelle qu’elle soit, peut aussi être la manifestation d’une dangereuse myopie.
Malheureusement, le « mort kilométrique », comme on dit dans le jargon de la presse pour désigner ce phénomène, est une recette qui a fait trop longtemps ses preuves pour que l’on y renonce, même au nom d’une solidarité planétaire devenue pourtant bien réelle.
Cette attitude d’égocentrisme n’est pas seulement le fait de journaux dits régionaux, dont c’est d’ailleurs la vocation et l’utilité de se consacrer principalement à l’information locale.
Dans la plupart des pays, la majorité des journaux dits nationaux, fussent-ils les plus ambitieux, se caractérisent souvent par un « chauvinisme de l’information » qui enferme le lecteur dans une sorte de ghetto d’où il ne peut avoir du monde, dont il est devenu bon gré mal gré le citoyen, qu’une vision imparfaite et déséquilibrée.
Le mort kilométrique
Pour des raisons d’économie beaucoup de journaux sont tentés d’exploiter uniquement la « provende » des agences nationales de presse pour leurs informations mondiales. Ils n’appréhendent plus l’univers qu’à travers l’apparence desséchée d’une dépêche de téléscripteur (d’Internet, dirait-on aujourd’hui). Les correspondants à l’étranger des agences restent eux aussi soumis aux impératifs du « mort kilométrique ». Généralement, ces correspondants ne sont pas des autochtones, ils ont la nationalité de leur agence. Cela veut dire que, très naturellement, ils vont juger les événements locaux à partir d’une sensibilité, d’un système de valeur, voire de préjugés propres à leur formation nationale, qui est aussi celle de notre fameux lecteur introverti. Et comme deux précautions valent mieux qu’une, les dépêches des correspondants, avant d’atteindre les journaux, transitent par la maison mère où, le cas échéant, on les réduit et les retravaille pour les mettre plus sûrement encore au goût des destinataires et de leurs lecteurs.
Enfin, il existe une « troisième loi éternelle du succès en journalisme » susceptible d’entraîner des retombées psychologiques et sociales. Tout ce qui se passe à l’instant même et à côté de nous ne suscite pas, bien entendu, l’intérêt des foules : encore faut-il que l’événement contienne un minimum d’originalité, d’inattendu et, pour tout dire, de merveilleux, en ce compris le merveilleux qui effraie. Or, dans cette course à l’originalité, on doit bien convenir que le malheur, l’événement négatif arrivent le plus souvent gagnant. (…)
Si l’on dit des peuples ou des gens heureux qu’ils n’ont pas d’histoire, la raison en est surtout que leur bonheur est fait de l’addition de milliers de petits événements si discrets qu’ils ne sont guère perceptibles et paraissent dès lors insignifiants. Le malheur, au contraire, attire les pompiers et l’ambulance, il provoque les imprécations ou les grincements de dents, il frappe les sens et mobilise donc l’attention. Il mobilise d’autant plus celle du lecteur de journal qu’une technique classique de la communication consiste à amplifier le bruit fait par l’événement.
4000 chapeaux pour 4000 âmes
Pierre Mac Orlan (1882-1970 ; journaliste et conteur surréaliste français) en a donné cette illustration célèbre : harcelé par son secrétaire de rédaction, il se décida un jour lui aussi à faire « mousser l’événement » en rédigeant le petit fait-divers suivant : « La chapellerie Dupont, faubourg Saint-Antoine, a été détruite la nuit dernière par un incendie. Quatre mille chapeaux ont été détruits par les flammes. On frémit à la pensée de ce qui se serait produit si, au lieu d’être rangés sur les rayons du magasin, ces quatre mille couvre-chefs s’étaient trouvés sur la tête de quatre mille de nos malheureux concitoyens ». Mac Orlan avait ainsi démontré par l’absurde qu’il était possible de donner à l’événement des prolongements artificiels qui ajoutent encore à son contenu d’émotion et donc à sa communicabilité supposée. Ce gonflement de l’information peut du reste aller si loin qu’il équivaut à créer l’événement journalistique : sans pareille opération esthétique, en effet, l’information n’aurait pas été publiée. Ce problème prend des dimensions nouvelles dans la mesure où les techniques de la communication sociale sont assimilée et appliquée par un nombre considérable de particuliers, de groupes, d’institutions, etc.
Dans la mesure où ils réussissent à occuper le terrain, ces groupes contribuent à donner du monde, via les journaux, la radio, la télévision, une image apocalyptique : l’individu le plus prudent se sent entouré de menaces inquiétantes et le plus parfait honnête homme est de plus en plus habité par la mauvaise conscience. Nous risquons ainsi d’être gagné par le sentiment d’une décadence généralisée, d’un univers partant à la dérive sous la pression de forces incontrôlables, d’une sorte d’agonie collective.
Si les problèmes réels et angoissants auxquels l’humanité doit faire face paraissent dangereusement nouveaux, n’est-ce pas, en partie du moins, parce que ces problèmes étaient beaucoup moins bien perçus autrefois ?
Il ne fait pas de doute que l’information recueillie et diffusée par la presse est aujourd’hui beaucoup plus abondante, plus diverse et plus riche qu’elle ne l’était autrefois.
Désormais nous sommes en plein milieu de ce « monde fini » dont Paul Valéry annonçait le commencement il y a une cinquantaine d’années. Nous sommes également en plein milieu d’une « société finie ». Mais ce monde et cette société auxquels notre sort, notre bien-être, notre existence même sont inexorablement liés, sont aussi un monde et une société en complète déstabilisation (…). Le grand tournant de l’humanité et de la société dont nous sommes les témoins n’est pas en effet, comme sa description donne trop souvent à croire, le fruit d’une sorte de délire collectif, d’une anarchie aberrante et suicidaire. Il est bien, plutôt, la résultante de phénomènes multiples et profonds, qui témoignent avant toute chose d’une volonté universelle d’émancipation politique, culturelle et sociale, c’est-à-dire le contraire de l’aveuglement et de la régression.
Foin des journaux sédatifs !
Le rôle d’une presse responsable n’est pas de jeter un voile pudique sur la face cachée de l’iceberg comme le préconisent les tenants d’une information lénifiante : les journaux sédatifs n’existent, au demeurant, que dans les pays où la concurrence ne se manifeste guère et où la liberté de la presse n’est le plus souvent qu’une notion relative.
Il s’agit pour cette presse d’utiliser l’immense pouvoir dont elle dispose pour devenir médiatrice au sens non plus neutre et technique, mais positif et moral du mot. En d’autres termes, il s’agit pour elle, par son esprit d’ouverture et de pluralisme, par son effort d’interprétation et d’approfondissement, d’aider le lecteur non seulement à savoir, mais à comprendre, à le réconcilier en quelque sorte avec un univers si inquiétant parfois à contempler. Il s’agit pour elle de considérer ce lecteur non plus comme le consommateur infantile d’un interminable feuilleton, mais comme le citoyen adulte d’un monde et d’une société qui ont surtout besoin, pour survivre, d’un peu plus de lucidité et d’un peu plus de fraternité.
Charles Rebuffat (transcrit et annoté par André Buyse)
Tous les anniversaires et commémorations ne sont pas prestigieux, ludiques, emblématiques ou simplement « citoyens ». Certains font référence à des événements douloureux, perçus de manière négative ou dérangeante dans la mémoire collective, telles les grandes crises des dernières décennies, climatique, économique et sanitaire.
L’avènement de ces crises a ceci de positif qu’elles impliquent nécessairement une remise en question des valeurs, des identités, des systèmes de développement économique et de pensée, un débat général sur le plans philosophique, littéraire et sociologique.
Rien d’étonnant dans ces conditions qu’une revue littéraire et de réflexion de haute tenue, comme « Les annales politiques et littéraires » (Paris, 1883-1939) ait pris l’initiative, en 1929, de poser la question suivante à une cinquantaine de femmes et d’hommes de lettres, pour la plupart « écrivains et journalistes » (à l’époque les deux fonctions étaient souvent associées voire confondues, tout comme aujourd’hui d’ailleurs où de nombreux journalistes écrivent des livres) : « Quel est le rêve de votre vie ? ».
Précisons que la plupart de ces auteurs, auxquels « Les Annales » demandait un témoignage manuscrit, étaient des hommes dans la fleur de l’âge et souvent arrivés au sommet de la gloire (leur notoriété s’est souvent poursuivie jusqu’à nos jours), nés dans la seconde moitié du 19e siècle et décédés dans la première du 20e (même au-delà des « golden sixties »).
Ces témoignages ne furent jamais été réédités et les larges extraits du document original de 1929 que nous avons pu nous procurer et que nous publions ci-dessous sont donc à considérer quasiment comme des inédits, une exclusivité de notre magazine. Ce qui frappera surtout, à leur lecture attentive, c’est, outre la haute qualité littéraire bien entendu, le fait qu’à notre époque de mondialisation, leur contenu soit resté, non pas le même mais très semblable, actuel. Ces « rêves » - et ces non-rêves – pourraient d’ailleurs être prêtés et réinterprétés par bon nombre de nos contemporains, journalistes, écrivains, poètes et autres gens de plume.
(A. Buyse)
Voici donc, recueillie à partir de l’année 1929, une partie de ces « songes d’une nuit d’été », qui, loin de s’afficher comme des « rêves de gloriole », reflètent la psychologie cachée de leurs 42 auteurs, classés par ordre alphabétique de Marcel Achard à Miguel Zamacoïs.
* * *
Marcel ACHARD, cinéaste (1899-1974)
J’avais rêvé d’être journaliste : je l’ai été. J’avais rêvé d’être comédien : je l’ai été. J’avais rêvé d’être auteur dramatique : je l’ai été. Alors, que voulez-vous ? Je ne rêve plus. Je veux tout de même laisser au hasard quelque chose à faire.
Jean AJALBERT (critique d’art, 1863-1947)
La journée de vingt-quatre heures, et une machine à écrire.
Alexandre ARNOUX (1884-1973)
J’ai fait, dans mon enfance, trois rêves : aller à Pampelune. Passer une journée d’été à Oxford. Voir un crépuscule d’hiver sur Pittsburg [Etats-Unis, Ndlr]. Pourquoi ces rêves ? Je l’ignore. Mais ils viennent du plus profond de moi-même. J’ai réalisé les deux premiers, qui, miracle !, ne m’ont pas déçu : j’ai trouvé ce que je cherchais. Il ne me reste que le troisième. Qui me fournira l’occasion de vivre un soir de Décembre à Pittsburg ? Pourtant j’espère et je tremble. Car, après, si je n’ai plus de rêve irréalisé, que deviendrai-je ?
Gérard BAUER, essayiste (1888-1967)
Le rêve de ma vie serait d’en avoir un.
Maurice BEDEL, journaliste (1883-1954)
Être une seule fois satisfait de ce que j’aurai écrit.
René BENJAMIN, journaliste et académicien (1885-1948)
Je m’excuse auprès des Annales, mais je ne crois pas que ce soit une question raisonnable à poser à un adulte ! Quand j’avais sept ans, je me rappelle très bien « le rêve de ma vie » était d’être pompier, et c’était un rêve héroïque. Mais dès qu’on m’a mis au collège, dès que j’ai connu l’encre et l’ennui, dès que j’ai touché le réel, je n’ai plus eu de « rêve de ma vie » … J’en aurai peut-être de nouveau, si je retombe en enfance. Qu’on me re-pose, à cette époque, la même question : j’essaierai bien volontiers de répondre, avec l’aide de la personne qui me fera prendre mes bouillies.
Pierre BENOIT, académicien (1886-1963)
Quand j’étais enfant, je terminais ainsi ma prière du soir : « Faites, mon Dieu, que j’aie une belle collection de timbres et qu’en mourant j’aille au Paradis, avec tous ceux que j’ai aimés, que j’aime et que j’aimerai… » Il y a assez longtemps que j’ai renoncé aux timbres. Mais la seconde partie de ce vœu continue à me paraître des plus avouables.
Henri BERGSON (1859-1941)
Je suis bien obligé de dire que pour l’ensemble de ma vie je n’avais pas formé de rêve. Je me suis borné à accomplir de mon mieux, au jour le jour, des tâches qui s’imposaient. J’ai peut-être évité ainsi quelque gros désappointement, et j’aurais alors, fait, sans l’avoir voulu, un bon calcul. Que n’ai-je quelque chose de plus intéressant à raconter ?
Tristan BERNARD (1866- 1947)
Le rêve de ma vie : chanter juste, avec une magnifique voix de baryton.
André BILLY (1882-1971)
Vivre à la campagne, dans un domaine mi-bourgeois, mi-paysan, de médiocre étendue et proche d’une belle forêt, en compagnie de beaucoup d’animaux et de beaucoup de livres. N’avoir aucune obligation de travail mais écrire de temps à autre un petit roman d’amour minutieux et compliqué.
Abel BONNARD, académicien (1883-1968)
Le plus beau rêve que nous puissions faire, c’est de développer ce qu’il y a en nous de plus profond, et de rencontrer les êtres qui doivent nous plaire
Paul BOURGET (1852-1935)
Le rêve de ma vie ? Tout simplement d’être écrivain.
Pierre BRISSON (ancien directeur du « Figaro ») - (1896-1964)
L’amitié d’un auteur dramatique.
Francis CARCO, journaliste (1886- 1958)
Le rêve de ma vie serait d’être peintre, mais il est trop tard pour le réaliser. Plaignez-moi.
Jean COCTEAU, académicien (1889-1963)
Vous savez bien que les fées disparaissent dès qu’on les regarde et que si on les nomme, elles se vengent. L’expérience nous enseigne à la longue le danger de formuler – même de se formuler – un idéal.
Sidonie-Gabrielle COLETTE (1873-1954)
« Le rêve de ma vie » ? Et que ferais-je d’un seul rêve ?
Horace de CARBUCCIA, journaliste (1891-1975)
Monsieur Barrès, à l’époque de sa gloire me dit un jour : « L’homme le plus heureux ne réalise pas le quart des rêves qu’il a faits ». Depuis lors, j’ai toujours pensé que le mieux était de ne pas faire de rêves et de profiter le moins maladroitement possible des occasions qu’offre la vie.
Jacques de LACRETELLE (1888-1985)
Je vous réponds dans le parc de Hampton Court, entre la Tamise et un de ces beaux jardins anglais qui semblent entretenus par des peintres. Il doit y avoir encore, par là, des arbres que Cromwell a regardés. Des biches passent sur les prairies. J’ai emporté un livre (mettez Stendhal). L’eau, les fleurs, la solitude, Cromwell, les biches, Stendhal, tout cela correspond assez bien à quelques-uns de mes rêves qui ont eu leur heure ou l’ont encore. Je plains celui qui dit : « Le rêve de ma vie… ».
Henry de MONTHERLANT, académicien (1895-1972)
Le rêve de ma vie serait de passer deux ou trois mois par an à Paris à y bloquer toutes les choses ennuyeuses auxquelles personne n’échappe tout à fait, et le reste du temps de faire uniquement ce qui me plait, dans les pays que j’aime. Toutefois, si je réalisais cela, le rêve de ma vie deviendrait immédiatement autre chose. Et je le réalise.
Comtesse Anna-Elisabeth de NOAILLES (1876-1933)
A l’heure de mourir, laisser sur la terre un vivant que l’on préfère à soi.
Gaston de PAWLOWSKI, reporter sportif (1874-1933)
Comprendre pourquoi je vis.
Tristan DEREME, poète (1889-1941)
Le rêve de ma vie serait sz vivre au calme, sous de beaux arbres, et d’apprivoiser des escargots. Que le sort, loin des autobus, m’accorde un peu de silence. Il n’est d’heureux qu’une tortue sous une feuille de laitue. Et puisque mon devoir est d’écrire des vers et d’être au même instant sincère, qu’il m’accorde de composer des vers heureux.
Roland DORGELES, journaliste (1885-1973)
Un rêve ? Un vrai rêve, qui vous grise, vous étourdit, vous obsède… Tous les hommes de mon âge ont fait le même pendant la guerre : revenir vivant. Le rêve s’est réalisé. Je ne demande plus rien.
Dominique DUNOIS (alias Marguerite LEMESLE), écrivaine (1878-1959)
La réalisation d’un rêve étant la destruction de ce rêve, le rêve de ma vie est de ne pas réaliser mes rêves.
Paul GERALDY, poète (1885-1983)
Hélas ! vous arrivez bien tard ! A quinze ans, j’aurais dit : écrire ! A seize : aimer ! A vingt : être aimé ! J’aurais dit, au cours de mes âges : travailler, ne rien faire, être deux, être seul, plaire aux autres, me plaire à moi… Il fut un temps où je vous aurais répondu, avec un de mes personnages : « Je voudrais savoir ce que j’aime. Je l’aimerais tant ! » Aujourd’hui, le rêve de ma vie : ne plus rêver, voir clair, vivre, tout simplement.
Jean GIRAUDOUX (1882-1944)
Le rêve de ma vie : me rappeler mes rêves.
Yvette GUILBERT, chanteuse (1865-1944)
Le rêve de ma vie ? … Mais je n’ai pas eu le temps de dormir, par conséquent pas le temps de rêver… ! Le travail m’a mangée depuis exactement l’âge de 13 ans, époque à laquelle je rêvais de devenir « jolie » et cela ne s’est jamais réalisé comme vous le savez ! Alors, j’ai dit zut aux rêves.
Emile HENRIOT, critique littéraire (1889-1961)
Le rêve de ma vie ? Eh bien ! c’est d’en avoir toujours un, qui ne se réalise jamais et qui me donne ainsi l’illusion qu’il y a perpétuellement quelque chose de mieux à désirer. La meilleure manière de regarder loin devant soi.
Edouard HERRIOT, académicien (1872-1957)
Quel a été le rêve de ma vie ? Enseigner, c'est-à-dire, tout d’abord, m’instruire. Pour cela, voyager et lire (ce qui est voyager dans le temps), avec de larges intervalles de repos à la campagne, pour étudier les mœurs des plantes et leurs passions (car elles sont passionnées !)
Joseph KESSEL grand reporter (1898-1979)
D’en avoir un.
Maurice MAETERLINCK (prix Nobel de littérature en 1911 ; 1862-1949)
Il y a plus d’un rêve dans chaque vie. Il y en a peut-être autant que d’années. Pour moi, le plus long, le moins réalisable.
François MAURIAC (1885-1970)
Le rêve de ma vie ? La Paix : une foi vivante, - non la somnolence, l’ivresse ou le sommeil, ni rien de ce qui s’obtient du dehors. Une paix faite de sécurité intérieure, et d’ordre dans le cœur ; - une paix à la fois menacée (afin que j’en connaisse le prix) et défendue avec puissance (pour que je ne cesse de me sentir aimé). Et comme un arbre, à mesure que son feuillage épaissit, fait une ombre plus dense, je voudrais que cette Paix s’étendît sur mon cœur, telle que l’ombre d’un amour que rien au monde ne saurait empêcher de croître, et dont les plus hautes branches déjà touchent à l’Eternité.
André MAUROIS (1885-1967)
Le rêve de ma vie ? La solitude au milieu d’amis parfaits. Un climat tiède et pourtant excitant. Des livres dont la beauté ne lasse point. De la gaieté, mais toujours mêlée de sérieux. De la sensualité sans remords et de l’amour sans tristesse… » Contradictio in terminis , direz-vous ? sans doute, mais les rêves sont absurdes.
Charles NORDMANN, astronome (1881-1940)
Le rêve de ma vie : ne plus faire de rêve
Henri de REGNIER (1864-1936)
Il ne faut avouer à personne, fût-ce à soi-même, le « rêve de sa vie ». Il a droit au secret et au silence, qu’il soit le rêve de notre cœur ou le rêve de notre esprit.
Frantz FUNCK-BRENTANO (1862-1947)
J’avais dix-sept ans, sur le conseil de mon père, je lus « La Cité antique » de Fustel de Coulanges. Cette lecture décida de ma carrière d’historien. Et j’eus alors ce rêve, de pouvoir me dire un jour, quand je serai très vieux, que j’avais écrit sur l’histoire de France un livre qui se placerait en regard de la Cité » antique. Un rêve…
Georges LECOMTE (1867-1958)
Pendant ma jeunesse, je fis, éveillé, les plus éblouissants rêves. La première phase de ma vie, si charmante qu’elle ait été, m’apparaît, à cause de toutes fantaisies dont mon imagination m’enchanta, comme la carcasse d’un feu d’artifice éteint. Maintenant je suis plus sage : je ne rêve qu’endormi.
Paul MORAND, académicien (1888-1976)
Être invisible.
Marcel PREVOST (1862-1941)
Quand on a franchi de beaucoup ce que Dante appelle « le milieu du chemin de la vie », l’avion du rêve est trop lourd de passé pour s’envoler, et l’aviateur ne voit plus devant lui l’espace nécessaire au décollage…
André RIVOIRE, poète (1872-1930)
Pour avoir le temps de rêver il faudrait avoir encore le temps de vivre.
Yvonne SARCEY (1869-1950)
J’ai fait tant de rêves ! Les plus fous sont les plus beaux mais je les garde pour moi. J’en dirai un cependant : vivre au milieu de la jeunesse et aimer les enfants jusqu’à l’instant de mourir.
Georges SUAREZ, journaliste (1890-1944)
Le rêve de ma vie ? Mais « Vivre » avec tout ce que ce mot comprend de sensations, de tourments et d’espoirs. Ce n’est pas si commode et c’est aussi beau quand on réussit !
Miguel ZAMACOÏS, journaliste, dramaturge (1866-1955)
Rêve dans le domaine professionnel ? Dans le domaine sentimental ?
Le rêve de ma vie, professionnel, c’était d’avoir un jour un grand succès dans un beau théâtre avec une pièce poétique interprétée par Sarah Bernhardt encore en pleine possession de ses forces et de son génie. Cr rêve a été réalisé. Quant au rêve sentimental…C’est appuyer l’échelle de l’interview sur le mur de la vie privée, et ce mur est en ciment armé contre l’indiscrétion.
* * *
A l’heure où la Chine, ou plutôt l’Etat-Parti » connu sous le nom de « République populaire de Chine », s’isole dans un confinement politique, populiste et négationniste (vis-à-vis de sa propre histoire), revêtant, aujourd’hui plus encore que par le passé, les « habits neufs de la tyrannie », et montre son vrai visage au reste monde, il nous a paru opportun de republier ce que l’on peut appeler « le chant des partisans » des étudiants et du peuple de Pékin, qui se sont levés le 4 juin 1989 place Tian Anmen pour réclamer l’introduction de « la quatrième modernisation : la démocratie ». Ce soulèvement réellement révolutionnaire a été maté dans un bain de sang, les chars écrasant les groupes pacifiques observant sous leurs tentes une grève de la fin. Le massacre fit, selon les sources, de 2000 à 10.000 morts.
Aujourd’hui, dans le cadre de l’élimination de toute référence démocratique à Hong Kong, où le gouvernement local, à la solde du Parti communiste chinois, a fermé le petit musée du souvenir de Tian Anmen et détruit le mémorial aux héros de l’Université chinoise de Hong Kong. Il a supprimé toute référence aux « événements », à l’histoire du massacre dans les programmes scolaires, emprisonné ces citoyens ordinaires qui commémoraient depuis trente ans l’épopée héroïque de la place Tian Anmen, ainsi que journalistes, écrivains, professeurs et hommes politiques qui ont osé s’y référer.
Il incombe dès lors aux pays et instances démocratiques dans le monde de prendre le relais. Nous y contribuons, pour notre modeste part en publiant ci-dessous la traduction française du chant des partisans de Tian Anmen, intitulé « Lishi de shangkou », ce qui se traduit en français par « La blessure de l’Histoire » .
« Bandez vos yeux, et croyez ne rien voir…
Couvrez vos sens, croyez ne rien entendre … »
pourtant la vérité s’impose aux cœurs
et les blessures demeurent, sur vos poitrines ouvertes
combien de temps encore faudra-t-il supporter ?
combien de temps encore faudra-t-il se taire ?
La blessure de l’Histoire
si nos larmes brûlantes pouvaient enlever les maux
si notre sang palpitant pouvait payer la liberté
que demain se souvienne de la colère d’aujourd’hui !
Que le monde entier voie la blessure de l’Histoire !
Wo-oh, wo-oh, wo-oh, wo-oh, wo-oh, wo-oh
La blessure de l’Histoire…
Parfois on se demande ce que peuvent penser les étudiants chinois en visite dans certaines villes d’Europe, où le massacre du 4 juin 1989 a déjà ses monuments commémoratifs (par exemple un mémorial dans l’enceinte de l’université flamande de Bruxelles (VUB) ou, à Wroclaw en Pologne, un monument réaliste représentant une bicyclette disloquée et les traces profondes des chenilles des chars chinois, sur un fond de pavés).
Rappelons que dès la première quinzaine de juin 1989 le quotidien français Libération – grand journal français ne pouvant être soupçonné de sympathies droitières, né dans la tourmente de mai 68 – sortait un numéro spécial de cent pages intitulé « Chine » avec en sous-titres, « le printemps de Pékin, de la liberté au massacre », abondamment illustré de photos prises sur le vif : charge des manifestants, victimes ensanglantées, mourants sur leur civière, étudiants enthousiastes trimbalant leur statue géante de la liberté en frigolite (reproduction de la statue de la liberté à New York) et bien sûr ce monument mondial de la photo et de la vidéo de presse que constitue le personnage anonyme tentant d’arrêter une colonne de chars sur l’artère principale de Pékin, Chang’An avenue.
Le « héros des chars » n’a plus jamais reparu et nul ne sait ce qu’il est devenu 25 ans après. Comme tant de dissidents des dictatures d’Amérique du sud (Pinochet and Co), dont certains ligotés en chapelets ont tout simplement été balancés par-dessus bord en survolant la mer depuis un avion, le crime parfait de l’élimination en quelque sorte.
Qui connaitra un jour le modus operandi du crime parfait des dictateurs pékinois, qui ont emprisonné pendant de longues et ont laissé mourir d’un cancer, sans soin approprié, le prix Nobel de la paix 2010 que fut Liu Xiabo, persécuté parce qu’il avait proposé d’adopter une charte des droits de l’homme sur le mode de la « charte 77 » de l’ancien président tchèque Vaclav Havel.
Ghislain Charneux
En Belgique, les „arrêtés royaux“ sont revêtus de la sanction royale comme l’indique leur nom et sont signés, en bas à gauche du document, du prénom du chef de l’Etat tel qu’il figure aux registres de l’état-civil (c’est-à-dire tel qu’il est inscrit sur l’acte de naissance du roi délivré par l’administration communale de la Ville de Bruxelles).
Que dit cet acte de naissance ? Nous le reproduisons tel qu’il apparait dans l’Annuaire administratif et judiciaire de Belgique – Administratief en gerechtelijk jaarboek voor België, , aux éditions Bruylant à Bruxelles:
„Du mariage de S.A.R. le Prince Albert, Prince de Liège, Prince de Belgique, et de S.A.R. la Princesse Paola, Princesse de Liège, Princesse de Belgique : S.A.R. le Prince Philippe – Léopold – Louis – Marie, Prince de Belgique, né à Bruxelles le 15 avril 1960“.
Punt aan de lijn ! , comme on aime dire au nord du pays. Le texte est traduit en néerlandais avec les quatre prénoms à consonnance française tels qu’ils ont été choisis par les parents du roi.
Dès lors, la signature Filip figurant au bas d’un acte officiel du Royaume de Belgique est un faux et – pire - il constitue rien moins qu’une manipulation de l’Histoire, de même nature par exemple (mais bien sûr pas de la même ampleur) que le „détournement de la mémoire historique“ évoqué dans l’article précédent (à propos de la commémration des événements du 4 juin 1989 à Tian Anmen), ou que les nombreuses réécritures des événements politiques sous le régime stalinien soviétique.
Halte là !…interrompront aussitôt les âmes vertueuses: „ ne savez-vous donc pas qu’il a eu un consensus, un accord tacite, de la classe politique, pour qu’il en soit ainsi, afin de ne pas jeter davantage d’huile sur le feu communaire ?“
Bien sûr que nous savons…et nous ne pouvons donc en déduire rien d’autre que, par le feu vert virtuel donné à cette réécriture de l’histoire, il y a complicité du monde politique dans son ensemble. Les „gommage historiques “ demandés par les uns risqueraient d’être complétés par ceux suggérés à l’avenir par d’autres acteurs politiques.. et ceci serait autrement grave pour la démocratie.
Ce faisant l’Etat belge se conduit comme n’importe quelle république bananière, pour qui seule compte l’opportunisme politique exploité par les ploutocrates en place au sommet de l’Etat.
Et si on poussait un peu plus le bouchon du machiavélisme, on dirait que le caractère anticonstitutionnel du blang-seing royal des actes officiels bilingues actuels permettrait aux uns (les nationalistes flamands par exemple), comme aux autres (des citoyens résignés à faire appliquer un „plan-B“ pour la survie de l’Etat), de chercher à démontrer, via des recours au Conseil d’Etat que chacun de ces blanc-seings royaux bilingues serait sans valeur constitutionnelle…ce qui ouvre la porte à l‘aventurisme politique.
A cela il convient d’ajouter que le ridicule de la situation rendrait ridiculiserait partout la classe politique autant que les tenants du pouvoir. Et cela partout dans le monde mais plus encore dans les autres payss démocratiques où, comme chez nous, plusieurs langues simultanément ont le statut de langue officielle.
On pensera tout d’abord à la Confédération Helvétique, un Etat qui utilise quatre langues officielles et où un président, germanophone, Ueli (diminutif de Ulrich) Maurer se garde bien de contresigner les lois et décrets tantot sous son nom allemand (Ulrich), tantôt sous nom français (Ulrique), tantôt sous son nom italien (Ulrico) pour ne pas parler du romanche, dont nous ignorons la transcription. Soulignons au passage le caractère démocratique du système présidentiel suisse : sans qu’il soit question dallusion à la proportion des locuteurs dans chaque langue ni qu’il soit fait référence aux résultats concrets des élections confédérales, il est prévu une tournante triennale: une année le président de la confédération est germanophone, une autre il est francophone, une autre encore il est italophone.
Idem au Grand-Duché de Luxembourg, pays de culture germanique, où le chef de l’Etat s’appelle Prince Henri. Lui non plus ne contresigne pas les lois et décrets grand-ducaux à la fois sous le nom de „Henri“ et sous celui de „Heinrich“.
Au Canada, Etat dépendant de la Couronne britannique mais dont le chef d’Etat (qui signe les lois et décrets) s’appelle „Gouverneur Général“ ou „Gouverneure Générale“, le problème peut aussi se poser. A ce jour, il ne s’est jamais posé …parce que le chef de l’Etat se prénomme David et que cette appellation est la :même dans toutes les langues.
Le précédent chef d’Etat était la Gouverneure Générale Michaëlle Jean (2005-2010), une francophone plurilingue. Celle-ci n’a jamais utilisé la transcription anglaise de son prénom (Michaella, Mikaela, Mikella) pour contresigner les actes officiels de l’Etat.
On chercherait vainement le même „traumatisme bipolaire légal“ en République de Malte (maltais et anglais), sudafricain (afrikaans et anglais), indien (hindi et anglais), finlandais (finnois et suédois), srilankais (tamoul et cingalais), moldave (roumain et russe), etc. La Belgique, seule sur la planète, exhibe son bipolarisme linguistique, ethnique et constitutionnel…
Cela étant, il n’est pas question ici d’attribuer la moindre responsabilité face à cette situation à notre souverain bien aimé le roi Philippe de Belgique. Celui-ci n’a, au contraire, jamais cessé de manifester son souci d’apaisement, de pacification, d’ouverture et de respect des différences culturelles, ethniques, religieuses et sociales.
A ce jour, il a même réussi ce que les sportifs appellent „un sans faute“, comme en témoigne son dernier discours de fin d‘année à la nation.
Robert Torbagy
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